L’hiver de 1872 est l’un des plus rigoureux de mémoire de Montréalais. Toutes les familles pauvres ont épuisé leurs réserves de bois de chauffage. Certaines meurent de froid, et plus d’une fois des policiers ou des voisins font de macabres découvertes. Coup d’éclat pour vendre son « train du nord », le curé Labelle apparaît à Montréal; capot de chat, casque de fourrure, ficelé dans une longue ceinture fléchée, il est la figure de proue du plus long convoi d’hiver jamais vu (avec un gallon de caribou dans chacun des traîneaux dit-on) descendant du Nord pour distribuer ce bois précieux dans les faubourgs.
Le journaliste Laurent Olivier David, le père de notre Athanase David, (eh oui ! ce père qui fut journaliste avant de devenir député et sénateur et dont notre village porte aussi fièrement le nom) écrira à ce sujet dans « L’Opinion publique », dans la livraison du 25 janvier 1872 :
« Jeudi dernier (le 18 janvier 1872), un spectacle nouveau s’offrait au regard des habitants de Montréal. Quatre-vingts voitures chargées de bois sillonnaient nos rues. Un grand nombre de ces voitures étaient doubles : c’est-à-dire traînées par deux chevaux. Un drapeau anglais flottait sur celle de devant. Les citadins se groupaient pour voir défiler cette procession aux coins des rues. On se demandait ce que cela signifiait. On le sut bientôt! C’était les gens de Saint-Jérôme qui s’en venaient, leur curé en tête faire un présent de soixante cordes de bois aux citoyens pauvres de Montréal. Voilà l’un de ses coups de théâtre pour le bien comme seul le curé de Saint-Jérôme peut en imaginer.
Tout en faisant un acte de charité, M. Labelle a voulu montrer comment les paroisses du Nord pourraient être utiles à notre ville si on leur donnait le chemin de fer qu’elles demandent avec tant d’ardeur. Cet acte généreux des habitants de Saint-Jérôme prouve qu’ils méritent qu’on les soutienne dans leur entreprise et qu’on aurait tort de leur refuser les moyens de travailler à la prospérité du pays. Les autorités de la ville ont fait à M. Labelle et à ses paroissiens l’accueil qui convenait. »
La même corvée de traineaux fut reprise en 1876, l’année de l’ouverture du train du Nord.