Par Jocelyne Aird-Bélanger
Georgia avec ses deux fils Niko et Billy
La cuisine et l’amitié, voici en effet la recette gagnante de Georgia, qui dirige avec brio les destinées du restaurant NIKO’S depuis 1973. Quarante-cinq ans déjà derrière les fourneaux, d’abord avec son mari, George, et depuis le décès de celui-ci, il y a 12 ans, avec ses deux fils, Niko et Billy.
Qui ne se souvient pas avec plaisir du Buffet Chez Georgia, où l’on dégustait un repas complet de mets grecs cuisinés sur place pour le prix imbattable de 4,75 $? C’était si unique et délicieux que cette bonne adresse fut même recommandée aux sportifs dans un magazine canadien d’escalade comme étant la meilleure au pays pour son rapport qualité/prix, que l’on soit végétarien ou non. Il y a même en son honneur une voie d’escalade nommée « Georgia » au mont Condor, à Val-David! Hélas, tout en conservant pour leur autre restaurant certaines des recettes grecques et végétariennes qu’ils y avaient expérimentées avec succès, Georgia et son mari durent un jour abandonner ce buffet si fréquenté. C’était devenu une trop grosse tâche lorsqu’on devait aussi s’occuper du petit resto, où il fallait préparer et livrer pendant de longues heures, 7 jours sur 7, à longueur d’année, pizzas, souvlakis et autres plats populaires un peu partout sur le territoire de Val-David et aux alentours, de Sainte-Agathe à Sainte-Adèle.
Georgia est arrivée à Montréal en 1963. À l’invitation de sa cousine, elle a quitté à 17 ans son village natal, près de Sparte, en Grèce, pour émigrer dans notre pays sans autre bagage que sa jeunesse, son énergie et sa langue. Elle s’est vite mise à travailler dans une usine de vêtements, où elle a aussi appris l’anglais, qui était la seule langue parlée dans cette entreprise. Et puis en 1966, lors d’une soirée de danse, elle a rencontré un grand marin grec en escale à Montréal. Quelque temps plus tard, ils étaient mariés et madame Kakouris eut très vite deux enfants. Comme bien des Grecs à cette époque, Georges et elles ouvrirent un tout petit restaurant, le Good Guys, au coin des rues Guy et Notre-Dame, à Montréal. Après quelques années de travail intense, ils sont venus à Val-David continuer le même métier dans le local qu’ils occupent toujours sur la route 117 et qui porte le nom de leur fils aîné, Niko. Cette minuscule cantine qui avait d’abord hébergé Cal’s Pizza leur fut alors prêtée par ses cousins Manolakos, qui étaient déjà installés dans la région, où ils étaient propriétaires de terrains considérables le long du rang 10 depuis 1949.
Dans ce premier modeste local, Georgia cuisinait le jour tout en s’occupant de ses deux jeunes enfants. Ils dormaient tous dans une rallonge adossée à la cantine, sur des matelas déposés à même le sol. On était en 1973. La force et l’énergie de ce couple courageux que rien ne rebutait quand il était question de faire vivre leur famille sont frappantes, tout comme la solidarité qui unissait alors la communauté grecque. Chaque été, lors des beaux jours, de nombreux Grecs reviennent encore chez NIKO’S pour goûter à la cuisine de Georgia, se retrouver en famille et renouer leurs liens. Ils y retrouvent, entre 11 heures du matin et 11 heures du soir, Georgia à la cuisine et Niko, qui travaille le jour, et Billy qui, lui, prend le relais le soir.
Le restaurant s’agrandit, on bâtit une maison, et un nouveau garçon vient s’ajouter à la famille Kakouris, qui compte maintenant trois enfants, Niko et Billy et une petite fille, Tina. Georgia a vraiment insisté pour que ses enfants fréquentent l’école française, aussi bien au primaire qu’au secondaire. Sa famille et elle-même parlent aujourd’hui trois langues couramment : le français, l’anglais et le grec, bien entendu. Sa fille Tina, qui est retournée vivre en Grèce, doit bien apprécier cette possibilité qui lui permet d’élever sa famille à proximité du lieu d’origine de sa maman.
Georgia est dotée d’un don étonnant pour la cuisine. Elle goûte à un plat et peut dire exactement ce qui le compose. Elle réussit ensuite, sans recette écrite, à refaire chez elle, dans sa cuisine, les plats les plus complexes. Certains se souviennent encore de son fameux gâteau forêt-noire, qu’elle réussit à recomposer à sa manière intuitive et personnelle de l’époque où elle cuisinait à son célèbre Buffet. En 2001, sa compétence fut reconnue par Philippe Belleteste, qui l’invita à donner des cours de cuisine grecque à l’École hôtelière de Sainte-Adèle pendant toute une semaine.
Grâce à son travail continu et à son grand cœur, Georgia s’est fait une réputation si considérable que la parution d’une photographie d’elle et de son mari sur la page Facebook de notre journal lui a valu jusqu’à maintenant plus de 4000 « like »! Elle a communiqué avec un immense plaisir cette nouvelle à ses enfants, fidèles adeptes de médiaux sociaux, contrairement à leur mère (évidemment…). Georgia n’a qu’un rêve : laisser à ses trois enfants et à ses petits-enfants — Vaggeli, George et Alexis — une vie heureuse et à l’abri du besoin. Elle travaille encore 7 jours par semaine et ne se voit vraiment pas assise chez elle à regarder la télévision. Elle aime rencontrer ses clients, qui deviennent très souvent ses amis. Femme de cœur, femme d’affaires, cuisinière infatigable, Georgia se voit plutôt finir sa vie au milieu des siens, ici, où elle a vécu si longtemps sans jamais s’arrêter.