Jean-Louis Dufresne : sommité dans l’histoire de l’hôtellerie et grand personnage de Val-David

 par Paul Carle et Michel Allard, historiens

Devant les aléas entourant l’avenir de La Sapinière, l’œuvre maîtresse de Jean-Louis Dufresne, devant les questions touchant le sort qu’on fera aux édifices et à la mémoire de cet endroit qui a marqué pendant près d’un siècle la culture québécoise et la vie de notre village, la Société d’histoire et du patrimoine de Val-David tient à garder vivante la mémoire de Jean-Louis Dufresne.

Jean-Louis Dufresne, un pur produit val-davidien né ici en 1913, a su atteindre les sommets de la renommée laurentienne, québécoise, canadienne, américaine et même mondiale. L’histoire de notre village n’offre pas d’autres exemples d’une telle réussite.

 

Jean-Louis Dufresne, 1970, Biographies canadiennes-françaises, p 246 ». Suivi de : La première salle à manger de La Sapinière, carte postale, BAnQ

 

L’arrivée de Jean-Louis Dufresne

En 1936, Léonidas Dufresne, père de Jean-Louis et alors maire du village, entreprend la construction d’une auberge de vingt chambres dans le but de procurer du travail aux gens de Val-David qui ont de la difficulté à joindre les deux bouts suite à la crise économique. Construite en bois rond, l’auberge prend le nom de Le Chalet La Sapinière. Cependant, Léonidas qui comptait vendre l’auberge ne trouve pas preneur si bien qu’il engage un gérant. Les premières années ne sont cependant pas rentables.

Écoutons ce qu’Henri-Paul Garceau, qui a bien connu et fréquenté Jean-Louis raconte de la suite *1  :

Deux ans après l’ouverture de l’hôtel, son fils, Jean-Louis, décida d’en assumer la gestion. Il n’avait aucune notion de ce genre de commerce, d’autant plus que sa formation classique au séminaire de Mont- Laurier ne pouvait lui être d’aucun secours, sinon pour l’esprit de travail et de discipline qui assure tôt ou tard le succès de ceux qui persévèrent. *2 Il commença donc par s’initier à l’hôtellerie en suivant des cours par correspondance d’un institut de Chicago. Concurremment, il s’inscrivit au premier cours d’hôtellerie dispensé par le Service d’hôtellerie du Québec, organisé au Manoir du Lac, à Saint-Donat. C’était ce qu’il y avait de plus rudimentaire et de moins adapté aux besoins réels du temps. Dès 1938, Jean-Louis
Dufresne se joignit au groupement des hôtels Laurentian Resorts Association qui comptait dans ses rangs plusieurs gens d’expérience. Il se souvient que Maupas, Cochand et Cardy lui ont prodigué de précieux conseils. Mais, avouait-il, c’est à la lecture de la revue Hôtellerie, des éditoriaux de Gérard Delage et de mon premier voyage en Europe que ce dernier avait organisé pour un groupe d’hôteliers que je me suis le plus renseigné sur la profession ».

 

Jean-Louis Dufresne, qui deviendra propriétaire de La Sapinière, en conservera la direction jusqu’à son décès en 2003; il deviendra l’âme de La Sapinière; son travail de 65 ans à la direction de l’établissement constitue un record québécois et canadien, toujours inégalé, et est probablement la principale raison du succès local, national et international de La Sapinière. Mais bientôt, Jean Louis n’est plus seul à la barre de l’auberge. En décembre 1942, il épouse dans la plus stricte intimité Mlle Bobby (ou Bobie) Ducharme. Ils travailleront ensemble à faire de La Sapinière ce qu’elle est devenue. Ils ont toujours considéré leur établissement hôtelier comme un prolongement de leur résidence privée et leurs clients comme des amis.

Rapidement, La Sapinière devient un établissement phare des hôtelleries laurentienne et québécoise. Dès 1945, avec l’aide du gouvernement du Québec on y crée et y dispense les premiers cours itinérants en hôtellerie et en cuisine au Québec. Durant plus de vingt ans, ces cours seront suivis par les propriétaires, employés et chefs de la plupart des auberges et hôtels du Québec, avant que l’Institut de Tourisme et d’Hôtellerie du Québec soit créé en 1969. Ces cours se donneront (au moins) jusqu’en 1973. Cette vocation pédagogique de La Sapinière se poursuivra par l’entremise de plusieurs anciens et employés actifs de La Sapinière devenus enseignants à La Polyvalente des Monts de Ste-Agathe dès 1972, puis à l’École hôtelière des Laurentides à Sainte-Adèle après 1983.

1947 (novembre); photo Jacques Desjardins, photo de groupe des étudiants à La Sapinière, Ministère du Commerce et de l’Industrie.   BAnQ, cote : E6,S7,SS1,D43435-43446

Jean-Louis Dufresne a également participé à plusieurs clubs gastronomiques au Québec et en a créé dans la région. La Sapinière reçoit, dans les années 1960-70 et 1980 des gastronomes, en groupe ou individuellement. Ce mouvement gastronomique atteint son apogée lorsque l’Office national du film met sur pellicule un souper du célèbre Club Prosper Montagné en 1972 et qu’il diffuse à partir de 1976. La cave à vin de La Sapinière était pendant plusieurs années la seule puis la plus importante cave à vin du Canada.

 

Les rois, les premiers ministres, les ministres

La renommée de La Sapinière a naturellement attiré une clientèle prestigieuse, plusieurs rois et reines, tous les premiers ministres du Canada et du Québec, tous les ministres et députés, tous partis confondus (dont le roi Olaf, des dignitaires africains et les représentants de l’OTAN qui y séjournent avant de se rendre à Ottawa ou à leur retour); des rencontres de travail pour certains, quelques jours de vacances et de repos pour
plusieurs. Les Canadiens de Montréal en séries éliminatoires, après 1951, fréquenterons la célèbre auberge; des artistes de partout sur la planète et bien sûr ceux qui se produisaient à la Butte à Mathieu. S’y tiendront conférences, séminaires, colloques (dont la fameuse rencontre de l’OTAN en 1982).

Jean-Louis Dufresne entretenait des liens amicaux avec la plupart des grands noms de la société, dont Jean Drapeau, Daniel Johnson, Claude Ryan, Pierre-Elliot Trudeau et même le Cardinal Leger.

Durant plus de 60 ans, La Sapinière sera reconnue comme la destination privilégiée des voyages de noces, surtout dans le milieu francophone au Québec. Quant à lui, Jean-Louis Dufresne recevra honneurs et récompenses, et continuera à s’investir dans le monde de la gastronomie. La Sapinière deviendra le premier membre nord-américain et canadien du réseau international Relais et château. Les chefs de ses cuisines obtiendront une reconnaissance nationale et même internationale , notamment Roger Puvilland et Marcel Kretz.

 

 

Jean-Louis Dufresne et Val-David

 

Durant plus de 65 ans, Jean-Louis Dufresne a été le plus gros employeur de Val-David, La Sapinière accueillant plus d’une centaine d’employés par année. Tous les anciens du village y ont travaillé. Sa renommée et sa vocation pédagogique ont permis à plusieurs personnes d’y apprendre un métier, d’acquérir de l’expérience et d’y développer des compétences.

Jean-Louis, Bobie et La Sapinière se sont également impliqués dans de nombreuses initiatives sociales, culturelles et sportives de Val-David dont les projets de centre culturel de Chistopher Stephanoff, les contributions à la Fédération québécoise de la montagne, au parc régional et à l’utilisation de leurs pistes, à la création de la Fondation Dufresne et à l’École de Val-David…

Les mérites et les honneurs que Jean-Louis a accumulés sont innombrables, mais on peut mentionner, à titre d’exemple: un doctorat Honoris Causa de l’I.T.H.Q., le Grand prix d’Excellence de Tourisme Canada et Tourisme Québec, le titre d’Homme du mois de l’Association des diplômés H.E.C. et la revue Commerce, le Grand Prix Association touristique des Laurentides, le Premier Prix provincial du Mérite de la Restauration ; il fut également nommé Hôtelier de l’année et plus tard Grand Chevalier par l’Association des Hôteliers du Québec, Grand maître des commandeurs.

À sa mémoire, l’École Hôtelière des Laurentides a créé le « Prix Jean-Louis Dufresne » accordé annuellement au meilleur élève de l’École Hôtelière.

 

 

Il ne manque à Jean-Louis Dufresne qu’une reconnaissance locale; la famille Dufresne a son nom associé au parc régional, Léonidas Dufresne a son parc, Jean-Baptiste Dufresne a sa rue; La Sapinière également. Ne serait-il pas temps que l’on souligne l’importance de Jean-Louis Dufresne à Val-David, que l’on perpétue sa mémoire ? Pourquoi ne pas donner son nom à la nouvelle école qui sera construite directement sur le site de l’ancienne Sapinière ?

 

 


*1  Henri-Paul Garceau, Chronique de l’hospitalité hôtelière du Québec de 1880 à 1940, les Éditions du méridien et les Publications du Québec, Montréal, 1990 pages 111-112-113.
*2 Jean-Louis avait jusque là travaillé au clos de bois de son père au village et était, en 1934, devenu propriétaire d’un commerce de thé et café à St-Jérôme