La communauté hongroise au Lac Paquin

Par Paul Carle, historien

 

En 1946, Julia Ouimet, veuve de Ferdinand Parent avec qui elle a eu 14 enfants, se voit dans l’obligation de vendre la ferme familiale. Les lots 6B et 7A dans le 8e rang du Canton de Morin au Lac Paquin passent aux mains de Morris Chaimberg qui est décrit comme « vendeur de journaux à Montréal » dans l’Acte notarié qui officialise cette vente. Il ne semble pas y avoir de liens entre les Chaimberg, les McConnell, propriétaires du Montreal Star et les Berthiaume, propriétaires de La Presse, aussi installés au Lac Paquin. Cette concentration au Lac Paquin, de la presse écrite de Montréal, demeure tout de même surprenante.

Mais les Chaimberg ne concrétisent aucun projet ou construction sur notre territoire. Le vingt novembre 1958, ils vendent à une compagnie, la Continental Resort Co. Les lots 6B et 7A du 8e rang, ainsi qu’une partie du lot sept sur le 7e rang.

La Continental Resort Co. Est sous la présidence d’Andrew Kornaï. Ce dernier est né à Budapest en Hongrie en 1917. En 1949, il quitte la Hongrie, comme plusieurs de ses compatriotes à l’époque. Après des années de guerre, la Hongrie se retrouve dans une période d’occupation et de régime soviétique. Après un séjour en Israël, il arrive à Montréal en 1953, et devient gérant de propriétés de métier et s’implique dans la communauté hongroise de Montréal puis devient président du Budapest Home Club.

Andrew Kornaï met alors ses talents professionnels et son énergie à imaginer et réaliser le projet de l’établissement d’une communauté hongroise relativement autonome. Cherchant le lieu idéal pour cette communauté, au nord de Montréal, il découvre le lac Paquin et un terrain en particulier lequel est arrosé par trois ruisseaux, vallonné et assez facile d’accès. En 1959, il crée un plan de développement du terrain situé entre le chemin du 7e rang et le chemin du 8e rang; des rues, dont la rue Continental, voie principale; des sentiers piétonniers longeant souvent les ruisseaux. Au cœur du projet un Club House, sorte de centre communautaire y est construit.

Le projet est original pour l’époque. Environ 75 petits lots, d’une superficie de quelque dix mille pieds carrés chacun, sont arpentés, lots que M. Kornaï destine à ses compatriotes. En achetant un lot, le propriétaire devient aussi membre de la communauté. Contre un certain montant annuel, toutes sortes de services sont offerts aux membres; déneigement, eau courante, entretien; il semble même que certaines maisons seront aménagées sans cuisine, les propriétaires préférant manger au centre communautaire.

La communauté comptera jusqu’à cinquante membres dans les années 1960. Dans le Club House, chaque année on célébrera les fêtes hongroises; rien de religieux cependant, les membres demeurant autonomes dans leur pratique religieuse. La communauté est permanente, en ce sens que ses habitants sont supposés la fréquenter toute l’année, même si tous ses membres travaillent à Montréal, sauf les préposés à l’entretien; le projet à l’origine n’en est pas un de tourisme et de chalets, mais plutôt un projet de communauté secondaire, le même groupe entretenant aussi un centre communautaire à Montréal. Le Club House du Lac Paquin, situé au 1343, rue Continental, devient dès le début du projet le Continental Lodge; on y reçoit les amis des membres, ou encore des hongrois de passage dans la région. Le projet connaît un début fulgurant; entre 1959 et 1962, on y construit une vingtaine de maisons. Plusieurs entrepreneurs du Lac Paquin travailleront à ces constructions.

La fin des années 1970 semble marquer le déclin du projet. Les anciens de la communauté invoquent, pour expliquer ce déclin, le nouveau climat politique du Québec, jugé par certains comme contraignant. Ainsi que le fait que plusieurs des maisons sont devenues des résidences secondaires et les coûts importants d’entretien que la communauté a de plus en plus de difficulté à rencontrer.

Plusieurs des membres vendent leurs propriétés. Le Club House est vendu en 1988. La Continental Resort Co, vend tout ce qui restait de terrain à développer au nord-ouest du chemin du 8e rang, près d’une centaine d’acres à Investissement May-nord Inc, qui tente aujourd’hui un nouveau développement sur la rue Horizon. En 1996, la Continental Resort Co. Est dissolue. Après avoir vendu ses maisons, M. Kornaï quitte le Lac Paquin. En 2000, il liquide ce qui lui restait de terrain au Lac Paquin, essentiellement les terrains à usage public dans le développement : rues et stationnement.

À cette époque, on retrouve encore au Lac Paquin un certain nombre de Hongrois, anciens membres de La Communauté Hongroise. L’ancien Club House de la communauté est devenu une maison où on loue des chambres et qui n’annonce aucune étiquette commerciale sur son bâtiment. Les propriétaires en sont Caroline Rauh et son époux Peter Sazbo.

L’ancien Club House de la communauté en 2018.