La légende du Parc des amoureux – l’histoire d’Angeline et de Cerf Agile

Par Claude Proulx

 

Au printemps de 1849, les premiers colonisateurs s’installent sur les berges de la rivière du Nord, avant d’aller se fixer finalement sur leurs lots de terre. Une famille de la Tribu des Mohawks, occupée à la chasse et à la pêche, les accueille chaleureusement en leur offrant gite et nourriture et les guide sur le chemin à prendre pour aller s’installer sur leurs lots de colonisation dans le septième rang du canton Morin. À cette époque, les Mohawks sont cantonnés dans leur Réserve située au lac de la Truite dans le canton Beresford, à une distance d’une lieue et demie, vers le nord-ouest.

À l’époque des moulins à eau sur la rivière du Nord, le meunier du village, qui opère le moulin à moudre le grain, entretient une bonne amitié à l’égard des Amérindiens, ceux-ci viennent y faire moudre leurs grains de maïs. Le meunier développe une relation particulière avec le chef de la réserve et avec plusieurs familles des Sauvages de la région, comme les Français appellent ce peuple des Premières Nations.

Comme le Meunier et sa famille vont souvent à Sainte-Agathe, il en profite pour aller livrer la farine à la réserve des Mohawks au lac de la Truite. Sa fille Angeline aime accompagner son père. Elle adore les balades en traineau durant les hivers et en charrette l’été, pour admirer les montagnes, les lacs et les ruisseaux qu’elle contemple durant ses randonnées à travers les cantons. Elle est une amante de la grande nature des paysages laurentidiens.

Lors d’une livraison de farine que fait le meunier au chef de la réserve, la fille du meunier rencontre le fils du chef indien ; Cerf Agile, comme l’avaient baptisé ses parents. Angeline n’a que dix-sept ans et Cerf Agile, est âgé de dix-huit ans. Les deux jeunes ont reçu une éducation sévère de leurs parents, une éducation empreinte de retenue que la religion catholique leur a donnée.

Cerf Agile aperçoit la jeune fille… Il la trouve belle. Comme il est hardi, il le lui fait savoir par ses regards prolongés et répétés. Durant cette première rencontre, la fille du meunier, discrète, a peine à retenir ses regards, mais n’étale pas ses sentiments pour ce qu’elle ressent à l’égard de Cerf Agile. Les deux jeunes ne s’échangent aucune parole, seuls les regards en disent suffisamment pour qu’ils sentent qu’ils sont épris l’un de l’autre ! Et le meunier, ne s’étant aperçu de rien, s’en retourne à la maison avec sa fille, fier d’avoir livré à ses amis de quoi se faire du pain banique pour les semaines à venir.

Pour la fille du meunier, dans le canton Morin, il ne se trouve pas plus beau garçon de son âge que Cerf Agile.

Quelques jours plus tard, par un beau samedi, dès potron-minet, Cerf Agile, amoureux, s’engage à pied à travers monts et vaux pour venir voir son amoureuse dans les parages du moulin. La fille du meunier qui enseigne aux enfants à l’école de rang près du Lac Grand-Maison termine sa classe du samedi vers midi. Elle s’empresse comme c’est son habitude de venir rejoindre son père au moulin.

Là rendue, elle aperçoit Cerf Agile, assis sur le gros rocher de l’autre côté de la rivière et qui semble chercher de quoi s’occuper. D’une lucarne du moulin elle peut l’observer à sa guise sans qu’il s’en aperçoive. À sa grande stature, elle le trouve beau avec ses longs cheveux noirs, tressés et ses vêtements de peau de chevreuil décorés de perles indiennes. Angeline, qui se doute bien de la raison de sa présence dans ces parages, emprunte le pont de bois pour venir le rejoindre.

Presque enlacés, émus, les jeunes amoureux ne savent quoi se dire ! Je m’appelle Angeline et toi ! Cerf Agile, de poursuivre le jeune indien. Une courte ballade amène les amoureux au moulin à farine. La belle Angeline en profite pour familiariser Cerf Agile aux rudiments du moulinage du grain.

Le meunier, témoin des premières aventures amoureuses de sa fille, observe d’un air discret les conversations et les gestes des deux jeunes amoureux. Les gréements du moulin font tellement de bruits qu’ils empêchent le meunier d’entendre leurs promesses de se revoir.

Le lendemain c’est dimanche. Angeline accompagne ses parents, pour assister à la Grand-messe de dix heures à l’église de Ste-Agathe-des-Monts. Plusieurs Mohawks y sont présents ainsi que le chef de la réserve avec sa squaw et leurs enfants. À la sortie de l’église, le meunier vient faire ses salutations au chef indien. À l’écart du groupe, Angeline et Cerf Agile en profitent pour s’échanger quelques paroles amoureuses.

À deux reprises durant les jours qui suivent, Cerf Agile vient se blottir vers trois heures de l’après-midi aux alentours de l’école où enseigne Angeline. Les jeunes amoureux s’attardent près du ruisseau qui sert de décharge du lac Grand-Maison. Ils se promettent leurs amours.

Le samedi qui suit, vers une heure de l’après-midi, Cerf Agile s’amène en canoë en amont du moulin sur la rivière du Nord. De là, les amoureux partent pour une randonnée en canoë jusqu’au lac Raymond à Val-Morin, une descente d’une lieue et demie.

 
 

Dessin de Sonia Paquin.

Durant cette belle journée, Angeline fredonne une chanson dont elle connaît tous les couplets. À la claire fontaine, m’en allant promener… Cette chanson naïve, touchante, qu’elle avait apprise de sa mère, est à cette époque, des plus populaires dans nos cantons.

L’air doux et mélancolique de cette romance s’accorde parfaitement avec le mouvement mesuré des pagaies du jeune indien qui descend la rivière du Nord avec sa belle Angeline. Le jeune indien apprend par cœur tous les mots de la chanson que les amoureux fredonnent ensemble. Leur retour en remontant la rivière se fait à la brunante.

Cette chanson est si belle laissez-moi vous la redire.

À la claire fontaine,
M’en allant promener,
Je trouvai l’eau si belle,
Que je m’y suis baignée,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai.
Je trouvai l’eau si belle,
Que je m’y suis baignée,
Sous les feuilles d’un chêne,
Je me suis fait sécher,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
Sous les feuilles d’un chêne,
Je me suis fait sécher,
Sur la plus haute branche,
Le rossignol chantait.
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
Sur la plus haute branche,
Le rossignol chantait,
Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai,
Tu as le cœur à rire,
Moi, je l’ai à pleurer,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
Tu as le cœur à rire,
Moi, je l’ai à pleurer,
J’ai perdu ma maîtresse,
Comment m’en consoler ?
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
J’ai perdu ma maîtresse,
Comment m’en consoler ?
Pour une rose blanche,
Que je lui refusai,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai
Pour une rose blanche,
Que je lui refusai,
Je voudrais que la rose,
Fût encore au rosier,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai.
Je voudrais que la rose,
Fût encore au rosier,
Et que le rosier même
Fût à la mer jeté
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai

Durant cet été, les rencontres des amoureux se font généralement sur les berges de la rivière du Nord, près du moulin à farine. Angeline toujours vêtue de sa belle robe blanche de coton et de son grand chapeau de paille qui cache une chevelure blonde, participe aux fêtes indiennes à la réserve des Mohawks. Elle savoure ces délicieux repas de viande de chevreuil, d’orignal, de lièvre, de perdrix et de poisson que lui servent ses nouveaux amis. Les squaws lui enseignent la préparation des aliments selon la tradition de leur tribu et elle affectionne particulièrement leur pain à base de farine de maïs.

L’automne est froid et l’hiver ardu. Occasionnellement Cerf Agile devenu un habile coureur des bois, s’aventure en raquettes à neige à travers les tempêtes jusqu’au moulin pour venir rencontrer son amoureuse. L’hiver le moulin est fermé, mais cela n’empêche pas les amoureux de se rencontrer à leur lieu de prédilection.

À la Saint-Valentin du quatorze février, Angeline et Cerf Agile partent en raquettes à neige pour une aventure en montagne. Au pied du mont Édith, une maman ourse se présente. Cerf Agile, qui connaît bien le comportement des animaux, retire une flèche de son carquois et bande son arc de chasse. Il est attentif aux intentions de l’animal qui vient de mettre bas et qui semble protéger ses deux oursons. Il veut tout d’abord protéger son amoureuse. L’indien, par tradition, semble vouloir abattre l’ourse pour donner à sa famille de quoi se nourrir. Angeline le supplie d’épargner la vie de la bête. Cerf Agile se retire doucement de la scène en entrainant avec lui sa belle Angeline. Les amoureux poursuivent leur randonnée et la journée de chasse se termine avec quelques perdrix et un porc-épic. Au retour, deux castors sont ramassés d’une trappe élevée il y a quelques jours dans le ruisseau Doncaster.

Le soleil du printemps est un heureux présage! Au début du mois de mai, Angeline qui a dix-huit ans et demi, annonce à ses parents qu’elle veut se fiancer à Cerf Agile. Le meunier qui aime bien sa fille et qui connaît bien le jeune Mohawk, reste silencieux ; il réfléchit, il pense ! La mère d’Angeline s’y oppose farouchement.

Quelques semaines plus tard, Angeline apprend à ses parents que le père de Cerf Agile a donné son consentement à leurs fiançailles et que les préparatifs de la cérémonie sont en marche pour que son fils se fiance dans les plus pures traditions de leur tribu.

La mère de la future mariée est au grand désespoir ! Elle consulte le curé de la paroisse de Sainte-Agathe-des-Monts et lui demande de rencontrer sa fille afin de la décourager de se marier avec un indien. Le curé se contente de rappeler à Angeline la douleur de sa mère éplorée et lui demande de réfléchir.

La fille du meunier est du même tempérament que son père. Elle est tenace et perspicace ; elle tient à ses idées et à ses convictions. Cependant, on sent qu’elle porte sur ses épaules la peine de sa mère qu’elle aime. Le meunier, qui aime son épouse, ne peut s’accorder la liberté de donner seul son consentement à sa fille. Conjointement, les parents demandent à leur fille de ne pas se marier avec Cerf Agile.

Par un beau samedi de la mi-juin, une cérémonie se déroule sur les berges de la rivière du Nord, pour les fiançailles d’Angeline et de Cerf Agile. Le chef indien, sa squaw et leurs enfants ainsi que plusieurs familles des Mohawks se déplacent pour venir célébrer l’événement. Le meunier et son épouse assistent à la fête par amour pour leur fille qu’ils aiment.

Les squaws de la réserve revêtent la fiancée des vêtements traditionnels de leur tribu. Sur son front un bandeau serti de perles indiennes, fabriqué par la mère de Cerf Agile. Une croix avec une chaîne de perles de verroterie et de cylindres d’argent orne son cou. Le fiancé qui porte le chapeau de plume de son père étale sa fierté dans son costume de Mohawk.

« Colombe Blanche » sera ton nom, déclare le chef de la réserve à la fiancée. Cerf Agile fait les promesses de fiançailles comme c’est la tradition et Angeline fait de même. La date des festivités de leur mariage est fixée pour le mois de juin de l’année suivante.

Une grande passion amoureuse s’empare des fiancés que l’on aperçoit souvent à leur lieu favori sur les berges de la rivière. Mais la vie n’est plus la même dans la maison de la famille du meunier. Face aux oppositions de mariage répétées de sa mère, la tristesse s’empare d’Angeline. Son cœur ne bat plus, ses veines sont vides.

Angeline est désespérée à l’idée de devoir obéir à sa mère et de ne pas marier son bel indien qu’elle aime follement.

Angeline n’en pouvant plus, déserte le foyer familial pour se réfugier dans un couvent de l’Ouest-de-l’Île de Montréal, pour entrer en Congrégation et devenir une religieuse.

À l’âge de quarante ans, avec la permission de la Mère Générale de sa Congrégation, Sœur Angeline, vient se reposer par ici en visite chez son frère. Elle gambade à travers les lieux de son pays natal.

Un soir de clair de lune, elle se promène aux abords des cascades à l’endroit même où elle était allée souvent à la rencontre de Cerf Agile. Sœur Angeline fredonne quelques couplets de la chanson qu’elle avait tant de fois chantonnée avec son indien adoré.

Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai,
Tu as le cœur à rire,
Moi, je l’ai à pleurer,
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai.

Soudainement, un grand vent s’élève et le vent lui répond : «O-whou-whou-whou » ! Elle s’étonne, et le vent continue : «O-whou-whou-whou » !

Et le vent de poursuive :

Tu as le cœur à rire,
Moi, je l’ai à pleurer,
J’ai perdu ma maîtresse,
Comment m’en consoler ?
Il y a longtemps que je t’aime,
Jamais je ne t’oublierai

Depuis longtemps, des amoureux qui vont se promener par un clair de lune aux alentours du belvédère du Parc des Amoureux à Val-David racontent qu’après avoir chantonné quelques couplets de cette chanson, ils entendent des sifflements étranges dans le vent, tout comme des voix… des paroles étranges… Certains disent qu’il s’agit du chant plaintif d’une colombe blessée : «O-whou-whou-whou » ! «O-whou-whou-whou » !