La légende du Père Gascon au Village du Val-David

Par Claude Proulx

 

On venait de très loin voir le père Joseph GASCON dit Lalongé dont la renommée d’adresse ouvrière avait gagné le Canton de Terrebonne et les Cantons avoisinants. À sa mort au lac Grandmaison, aujourd’hui le Lac Paquin, Joseph Gascon, fermier, maquignon de chevaux et époux d’Elvina Limoges, laisse en héritage ses 17 chevaux à ses trois fils. L’événement se déroule au lieu-dit «Bélisle’s Mills», officialisé Municipalité du Village de St-Jean-Baptiste de Bélisle le 20 mai 1921, puis renommé Val-David depuis le 30 juin1944.

Vue du Lac Paquin, Belisle Mills. Carte postale sepia, 1930?. Collection BAnQ.

Dans son testament, le père Gascon avait ainsi établi le partage de l’héritage de ses 17 chevaux, selon la lecture faite par le notaire Évariste Chalifoux de Sainte-Agathe-des-Monts, quelques heures après l’enterrement du défunt.

Voici un bref extrait des souhaits exprimés au testament du père Joseph Gascon:

« Mon fils aîné Joseph recevra la moitié (1/2) de tous mes chevaux, »

« Mon second fils Napoléon recevra le tiers (1/3) de tous mes chevaux, et »

« Mon plus jeune fils Arthur recevra le neuvième (1/9) de tous mes chevaux »

De retour sur leur ferme dans le septième rang au lac Grandmaison, la chamaillerie prit donc parmi les trois fils car il leur apparut qu’il était tout à fait impossible de diviser 17 chevaux par deux, par trois et par neuf. Ils avaient tous fréquenté l’École d’en-haut, sur le 8e rang, et les notions élémentaires de mathématique leur étaient donc acquises.

 L’école du 8e rang vers 1885.Illustration du livre Val-David : son histoire, son patrimoine, tome 1, 2001 par Sonia Paquin.Collection Claude Proulx.

Ils firent appel à un ami de la famille qui habitait dans le même vieux quartier qu’eux, Paul-Émile Paquin, de grande notoriété sociale et dont ils appréciaient l’intelligence et les capacités, dans l’espoir que celui-ci dénoue l’énigme.

Monsieur Paquin lut donc le testament avec grand soin, puis retourna chez lui pour réfléchir à un règlement à proposer aux trois héritiers. Tous se posaient la même question: Mais, comment donc, Paul-Émile va-t-il réussir à solutionner l’imbroglio ?

La nouvelle parcourut les familles du village. La grande majorité de la population villageoise était en émoi et la situation était sur le point de causer un traumatisme collectif.  À l’École d’en-haut, sur le 7e rang, et à une autre, «l’école dans l’castor», des rumeurs faisaient frémir les plus jeunes élèves à l’idée que l’on s’apprêtait à couper un cheval en deux, sectionner un autre en trois, puis enfin un autre en neuf quartiers.  D’aucun citoyen n’était venu jusque-là à une solution acceptable selon le notaire Chalifoux, lui-même n’avait pas même un règlement vers un simple compromis.

À la requête de monsieur Paquin, on rassembla les membres des familles concernées dans l’écurie du défunt. Paul-Émile Paquin, à qui les légataires avaient confié la tâche de solutionner l’énigme, s’était donc amené avec son propre cheval, qu’il mit avec les autres dans l’écurie du décédé Père Gascon et présenta une résolution de partage des chevaux. On procéda à un comptage minutieux du nombre de chevaux présents dans l’écurie et suite à un recomptage légal par le notaire Évariste Chalifoux, assisté de Réal Gascon et de Jacques Gascon, cousins des héritiers qui habitaient sur le 7e rang. La solution de monsieur Paquin fut acceptée d’emblée et c‘est ainsi que les héritiers se partagèrent les legs :

-Joseph, le fils aîné obtint donc 9 chevaux

-Napoléon, le second fils obtint 6 chevaux

-Arthur, le plus jeune fils obtint 2 chevaux

Puis l’ami Paul-Émile Paquin retourna chez lui avec son propre cheval.

C’est bien ce que l’on raconte depuis plusieurs décennies dans les septième, huitième et dixième rangs du canton de Morin, au lieu-dit «Bélisle’s Mills», et même jusqu’aux confins des cantons de Terrebonne, de Doncaster, de Wexford et de Beresford. Après toutes ces années, cette histoire est devenue «La légende du Père Joseph Gascon au Village du Val-David», laquelle fut popularisée parmi les colons des Cantons des Pays-d’en-Haut dans les Laurentides et elle fait encore de nos jours, l’objet de «racontage de cuisine».

Cette histoire me fut racontée par Paul-Émile PAQUIN avec lequel l’auteur avait tissé des liens d’amitié.

© Claude Proulx, Val-David, 1986 – 2017