La production de potasse au Lac Paquin

Par Paul Carle, historien

 

Le feu a permis toute sortes de choses dans l’histoire de l’humanité: la chaleur, la cuisson, la conversion de la matière (la poterie, par exemple). Il y a déjà plusieurs siècles, on a aussi découvert que les cendres de bois possédaient des propriétés forts utiles. Les cendres possèdent des propriétés nettoyantes (le fameux savon noir de nos ancêtres); surprenant quand on considère que les cendres sont souvent associées à saleté.

Les composantes chimiques principales des cendres sont le carbonate de potassium (la potasse) et le carbonate de sodium. Ces deux composés chimiques sont des alcalins (on dit aussi des bases). La potasse a de fait constitué le premier élément basique que l’homme a découvert.

Inutile de dire que cette propriété basique, associée au fait que le potassium est indispensable à la vie organique et que ses divers composés chimiques sont des engrais recherchés, a entraîné la création, il y a déjà longtemps, d’une industrie particulière. Cette industrie est liée à la colonisation. En effet, il faut beaucoup de cendres de bois pour produire de la potasse; nos premiers colonisateurs, défrichant la forêt, avaient à leur disposition tout le bois nécessaire (tout en conservant ce qui leur fallait pour chauffer) pour entreprendre cette production; elle leur permettait un engrais, elle leur permettait une base qui atténuait les propriétés acides des sols laurentiens. La potasse étant un produit recherché, elle leur donnait aussi une monnaie d’échange pour divers biens qu’ils avaient de la difficulté à se procurer. Dès 1767, le Canada exporte la potasse à partir de cendre de bois et les exportations de potasse et de chaux s’élèvent en 1865 à 43 958 barils. En 1855, les potasseries rapportaient à la Province du Canada un revenu annuel d’environ 230,000$.

« Après 1856, après l’ouverture des routes par le gouvernement, les colons purent faire de la potasse et la transporter dans des barils à St-Jérôme ou à Shawbridge. Là, ils l’échangeaient contre des provisions et autres marchandises ». En 1912, selon le Dr. Edmond Grignon, on voyait encore dans la région des amas de cendres provenant de cette industrie primitive.

D’après divers témoignages, dont celui de Claude Parent du Lac Paquin, une telle industrie existait chez nous au début du siècle. Il a observé dans sa jeunesse, sur la terre de ses parents les restes de cette ancienne industrie. Au coin sud-est de la montée du VIII ème rang et du chemin du VIII ème rang, on voyait encore des cuves métalliques toutes bosselées et des tas de cendres.

Ces cuves ressemblaient en tout point aux cuves utilisées pour l’évaporation de l’eau d’érable. Cette industrie ne datait ni de son père ni de son grand-père installés sur cette terre depuis 1910. Cette industrie était donc le fait ou de Moïse David, ou de Basile Cloutier, ou de Nazaire Desjardins, ou encore de Gédéon Paquin, les anciens propriétaires de cette terre avant 1910. Les anciens actes notariés n’ont pu nous éclairer complètement à ce sujet.

Selon des anciens de Ste-Adèle , on met d’abord la cendre de bois dans de grandes cuves, et on l’arrose abondamment. La partie soluble descend avec l’eau dans des auges qui la conduisent aux chaudières disposées pour la recevoir. C’est la lessive que l’on fera bouillir dans des chaudrons jusqu’à ce que l’eau se soit complètement évaporée. Il faut pour cela huit à quinze jours d’un feu régulier. Le sel qui reste c’est la potasse (ou la perlasse). On la met en tonneau pour l’expédier. Trois tonneaux faisaient un bon voyage qui pouvait rapporter quarante à cinquante piastre. Quelques potasseries existaient aussi à Ste-Adèle, dont une, au Mont-Sauvage, qui avait trois cuves.

La potasse aujourd’hui est produite directement à partir de mines; on y extrait directement les sels de potassium. Cette industrie chimique est toujours importante, la 11 ème en importance aux USA encore actuellement. La production de potasse à partir des cendres de bois a décliné à la fin du XIX ème siècle, par la raréfaction du bois et l’invention de nouveaux procédés miniers. En 1981, le Canada produisait 7,2 millions de tonnes de potasse, évalués à 1,05 milliards $.