Le fantôme de Jackrabbit

Un conte historique pour le Club plein air de Val-David inspiré du livre La Vallée de la Diable de Danielle Soucy

Par Marcelin Côté

Publié dans le journal Ski-se-dit, mars 2000

 

 « Jackrabbit » Herman Smith-Johannsen (1875 -1987 ) en 1977. Rehaussée de sa signature, cette photo est considérée comme un document historique, rarissime et unique. Collection Claude Proulx.

Il y a très longtemps, vers l’an 1875, naquit, en Norvège, un poupon nommé Herman Johannsen. Dans ce pays montagneux, la neige était si abondante que les maisons en étaient presque totalement recouvertes. Dès l’âge de trois ans, Herman se comportait comme un véritable athlète. Debout sur deux planches de bois, aujourd’hui appelées skis, il s’amusait à glisser sur les pentes enneigées des nombreuses collines environnantes. Comme tout enfant ambitieux, il s’instruisit puis il obtint un diplôme d’ingénieur mécanique. Malgré toutes ces années de travail obstiné, il était très conscient du fait que son bonheur se trouvait ailleurs. Pas besoin de chercher bien loin ! Deux planches de bois glissant sur les sentiers enneigés, c’était ça, la vie dont il rêvait.

ll décida alors de poursuivre ses études et devint ingénieur du ski. Son rêve était enfin réalisé. Il pouvait maintenant exercer le métier qu’il aimait le plus : skier en toute liberté sur les montagnes de l’univers, côtoyer chaque jour une nature en constante évolution, partager la vie de tous les animaux de la terre. Quoi de plus merveilleux !

Un jour, ayant soif d’aventure, il décida de venir s’établir au Canada, plus particulièrement au Québec, dans la région des Laurentides. Ce pays d’adoption lui faisait cadeau de millions de montagnes et lacs qu’il pouvait enfin exploiter à sa guise, avec Ken, son chien adoré et fidèle compagnon. Très souvent, les deux inséparables se parlaient comme le font des frères. Ensemble, ils surmontaient les pires obstacles.

Ken était toujours prêt à tirer le traîneau chargé de bagages de survie : tente, hache, petit poêle, un peu de nourriture, et, bien sûr, de l’eau en quantité suffisante… Il était heureux de rendre service à son maître, car, grâce à lui, il pouvait admirer les plus beaux paysages du monde.

Ami de tous les Indiens, Herman côtoyait les membres de plusieurs tribus : Cris, Ojibways… Tous l’aimaient et le respectaient à cause de son extraordinaire rapidité et sa disponibilité. Ils le considéraient comme un lièvre volant; c’est pourquoi ils le surnommèrent  » Jackrabbit « . Skieur de haut calibre, il participait à de nombreuses compétitions; aucune randonnée ne lui faisait peur. C’est ainsi qu’un beau jour de 1920, il entreprit sa première excursion au Mont Tremblant.

Quelques années plus tard, il décida de gagner à nouveau sa vie comme ingénieur du ski. Avec l’aide de ses amis du Red Birds et du Montréal Ski Club, il entreprit, en 1932, la construction d’une piste de randonnée de 128 km, s’étendant de Shawbridge à Labelle. Puis, en 1938, cet ami des animaux devint expert-conseiller pour les pistes du mont Tremblant. Voyant ce grand Norvégien aux yeux expressifs, glissant sur la neige et ayant à ses côtés son ami fidèle tirant un traîneau avec équipement hors du commun, les jeunes skieurs des Laurentides le considéraient presque comme un dieu venu d’une autre planète.

Un jour, alors qu’il était au sommet du Mont Tremblant avec trois de ses jeunes compagnons universitaires et son autre chien, Caesar, il réalisa qu’il lui était impossible de redescendre la piste, car, dans la région, une tempête sévissait. La température ayant très rapidement chuté à moins de 25 degrés Fahrenheit, tous décidèrent de demeurer au camp de bois rond du garde forestier, au refuge Pic White. Ils firent un bon feu dans le poêle à bois puis ils y passèrent la nuit, emmaillotés dans leur sac de couchage.

Le lendemain matin, à leur réveil, ils constatèrent que la tempête avait repris de plus belle. Même les oiseaux se cachaient dans leur nid. Courageux comme pas un, le légendaire Jackrabbit se plaça le premier en haut de la terrible piste, suivi de son chien et ses trois copains. Avec son fidèle compagnon, il discuta des stratégies à utiliser lors de la descente périlleuse.

Très confiant, Caesar lui dit alors :

-Allez, mon maître ! Nous allons vaincre la montagne !

-Suis-moi, mon vieux ! Tu vas voir, on va réussir. Envoyez, dans mes traces ! s’écria Herman.

Aussitôt dit, il s’élança dans l’épaisse forêt, les réflexes alertes, les yeux fixes comme un vrai chef de file, en criant tout le long de la descente :

-Suivez-moi, ha, ha, ha !… Oyé, Oyé, Oyé !…

S’assoyant sur ses bâtons et plaçant son ski droit vers l’arrière, il s’en servait comme un gouvernail. Les arbres en profitaient pour lui caresser le visage. Malgré le froid intense, il prenait le temps de saluer ses grands amis, les chevreuils, qui en faisaient tout autant.

Passant à côté d’un gros rocher, il remarqua la présence de Fred, l’ours noir. Celui-ci hibernait depuis quelque temps déjà.

-Bon sommeil, M. l’Ours ! lui dit-il.

-Ouais…0uais…0uais !… lui répondit Fred, se léchant les pattes et continuant son ronflement.

Près d’un marais, il rencontra ensuite Magloire l’Orignal qui cherchait péniblement un peu de nourriture. Ce dernier lui demanda :

– Tu n’as pas trop froid, mon ami ?

-Je n’ai pas le temps d’y penser, à la vitesse où je vais. A bientôt ! lui dit l’agile skieur.

Soudainement, Églantine l’Écureuil lui coupa le chemin et s’écria :

-Oh ! Excusez-moi ! Je n’ai pas fait exprès; je vais si vite que je fais parfois des erreurs irréparables.

-Ce n’est rien, Églantine, ça aiguise seulement mes réflexes.

Pins, sapins, épinettes secouaient leurs branches pour lui donner une meilleure vue. Quelle délicatesse ! Arrivé au bas de la pente, le lièvre volant s’exclama :

-Enfin ! Nous sommes rendus à destination sans trop d’égratignures !

Quelques écorchures sur le visage et les mains, tous étaient couverts de branchailles d’épinettes. Leurs vêtements étaient déchirés à plusieurs endroits. Même s’il avait le museau et les oreilles ensanglantées, Caesar ne finissait plus de japper de joie.

C’était l’euphorie pour les cinq aventuriers qui étaient extrêmement fiers d’avoir réussi une descente aussi difficile. Heureux d’avoir pu contempler tous ces paysages féériques, ils gardèrent, dans le tiroir de leur mémoire, un souvenir inoubliable.

Les années passèrent puis, un triste jour, Herman Johannsen mourut à l’âge de 111 ans, lui qui semblait presque immortel.

Les vieux rentiers qui fréquentent encore la vieille gare de Mont-Tremblant disent que le skieur légendaire n’est pas mort. En effet, si vous allez au pied de la montagne, les soirs de tempête, et que vous regardez vers le sommet, vous verrez de la fumée dessinant à la perfection Jackrabbit sur ses skis et son chien, Caesar, tirant un traîneau. Cette fumée s’échappe de la vieille cabane de bois rond du garde forestier, au refuge Pic White. L’on dit que ce sont les fantômes de Jackrabbit, son chien Caesar et ses trois copains qui ont décidé de se réchauffer jusqu’au chant du coq, avant d’entreprendre la prochaine descente de la montagne !!!…

Références

On peut en apprendre davantage sur Herman Johannsen en lisant ce texte publié par la Société d’histoire de Val-Morin: Herman Smith Johannsen dit Jackrabbit résident émérite de Val-Morin