Le recensement agricole de 1861


Michel Allard et Paul Carle, historiens


Cabane à sucre de Val-David, fin XIXe siècle, Musée McCord

Nous abordons dans cet article l’étude de la section dite agricole du recensement de 1861[2]. Elle ouvre un large spectre sur les activités économiques des premiers colons établis sur le territoire actuel de la municipalité de Val-David. Pour chaque colon, nous obtenons des informations portant sur le nombre d’acres de terres en sa possession et sur leur utilisation à des fins agricoles. Nous pouvons ainsi connaître la superficie des acres mises en culture, de celles qui ont donné une récolte en 1860 et de celles qui sont encore en bois debout. Enfin, la valeur de chaque terre est estimée en dollars de l’époque.

Une seconde série de données a pour objet le rendement des terres en culture, selon le cas, les produits de transformation. Une troisième série de données a trait aux chevaux et au bétail. Bref, nous pouvons ainsi brosser un tableau assez juste des progrès de la colonisation dite agricole.

La superficie des lots octroyés

La superficie des terres de la couronne, sur lesquelles les 263 habitants du territoire actuel de Val-David répartis en 42 familles pionnières se sont établis, totalise environ 5880 acres. En vertu de la loi régissant les terres destinées à la colonisation, près des deux tiers, soit environ 4000 acres, ont été octroyés sous forme de billets de location aux 42 colons. Toutefois, la répartition n’est pas égale; 19 colons ont reçu 140 acres et plus. Mentionnons entre autres que Joseph Bélisle détient 300 acres tandis que Hyacinthe Perrier et [Phsechal?] Levers ont chacun acquis 280 acres. En revanche, 23 colons ont reçu moins de 140 acres, soit pour la plupart 70 acres, ce qui représente la moitié d’un lot.

L’utilisation des lots

En 1861, on calcule qu’environ 1407 acres sont en état d’être cultivées. Toutefois, en 1860, seulement 1092 acres ont produit une récolte. Si on ajoute que 672 acres sont réservées aux pâturages et 29 aux jardins et vergers, on doit compter que sur les 4000 acres concédées aux colons environ 2000 sont consacrées à des fins agricoles. Les 2000 acres restantes demeurent en « bois debout », selon l’expression utilisée par le recenseur. Si on y ajoute les 1880 acres non concédées aux colons et non défrichées, nous devons conclure que la superficie des terres agricoles ne compte que pour un tiers de tout le territoire sur lequel elles sont situées et que les deux autres tiers demeurent en « bois debout », ouvrant ainsi la porte à l’industrie forestière.

La valeur des propriétés

La valeur au comptant de toutes les terres, y compris les maisons et autres bâtiments, s’élève à 18 976 $, pour une moyenne de 451,00 $ par propriété. Par contre, si nous défalquons la valeur des terres évaluées à plus de 1000 $, soit celles de Narcisse Ménard, de Joseph Bélisle, de Louis-Paul Parent et de Magloire Thibeault, qui s’élève à 7500 $, l’évaluation moyenne pour les 38 propriétés restantes baisse à 302 $.

Les instruments aratoires

Trente-trois colons possèdent des instruments aratoires, pour une valeur totale de 500 $. Toutefois, les frères Olivier et Narcisse Ménard ainsi que Joseph Bélisle se détachent du groupe; leurs instruments valent conjointement 190 $. La valeur moyenne des instruments aratoires pour les 30 autres colons se chiffre à environ 10 $.

Le cheval

Pour le colon, le cheval est précieux, à la fois pour les travaux de défrichage et, par la suite, pour les travaux de la ferme, sans compter qu’il peut aussi servir au transport des personnes et du matériel. En posséder un est considéré comme essentiel, en avoir deux devient un signe de richesse[3]. Aussi ne faut-il pas s’étonner que trente colons en entretiennent un, six colons en ont deux (Narcisse Ménard, Joseph Giroux, Luc Paquin, Olivier Michauville, Louis Parent fils, Olivier Ménard) et un colon trois (Joseph Bélisle). Pour un total de 45 chevaux au-dessus de trois ans, auxquels il faut ajouter 7 poulains au-dessous de trois ans. La valeur de chaque bête est évaluée entre 10 $ et 80 $. Quant à l’ensemble du troupeau, il se chiffre à environ 3692 $.

Voiture d’agrément

Dix colons possèdent une voiture dite d’agrément dont la valeur est évaluée de 3 à 25 $. Remarquons que les 7 propriétaires de 2 ou 3 chevaux en ont acquis une. À ces derniers, il faut ajouter Maurice Lajeunesse, Magloire Thibault et Moïse Lachaîne.

Une gravure d’époque, 1879, dans l’Opinion Publique; le travail du défricheur pendant sa première année, son arrivée dans la forêt, la fondation de sa cabane, son terrain après une année. BanQ

Le bétail

Le troupeau des bœufs et des vaches demeure sans contredit le plus important, tant sur le plan du nombre de bêtes que celui du nombre de colons qui en possèdent. En effet, on compte un total de 157 têtes de bétail qui se répartissent comme suit : 38 colons se partagent 69 vaches dont le lait permet de produire environ 2000 livres de beurre. Soixante-deux bouvillons et génisses au-dessous de 3 ans ainsi que 22 bœufs ou vaches au-dessus de 3 ans qui se répartissent entre 30 colons.

Notons que, parmi les autres animaux, 38 colons possèdent 83 porcs dont on retire 8717 livres de lard, tandis que 23 colons se divisent 93 moutons qui donnent près de 200 livres de laine que 9 familles de colons transforment en étoffes foulées. Enfin, la valeur totale du bétail possédé par les colons s’élève à 4078 $ dont 535 $ pour le troupeau de Joseph Bélisle.

Les céréales produites en 1860

Aux céréales il convient d’ajouter les 12 230 tonneaux de foin coupé par 35 colons ainsi que les 22 minots de graines de trèfle, de foin et d’autres herbes récoltés par 12 colons.

Parmi les principaux producteurs de ces produits agricoles, nous retrouvons Joseph Bélisle, Normand Ménard, Maurice Lajeunesse et Louis Parent père.

Les légumes

Notons tout d’abord l’absence d’une variété de légumes et de fruits. Sans doute que les colons, en particulier les enfants, se livraient à la cueillette des fruits sauvages, mais le recenseur n’en tient pas compte. La pomme de terre est semée par 34 colons. Elle décroche facilement la première place. On en récolte 3259 minots pour 83 acres. Deux autres légumes, les pois et les navets, sont aussi produits respectivement par 23 et 13 colons et rapportent 148 minots et 312 minots.

Autres matières premières transformées

Parmi les matières premières qui réclament une certaine transformation, nous retrouvons le lin ou le chanvre dont 13 colons ont récolté 147 livres. On en tire des flanelles (85 verges) et de la toile (145 verges) qui sont produites respectivement par 7 et 6 familles. Dans cette catégorie, on retrouve 810 livres de sucre d’érable produites par 9 colons. Enfin, bien que le territoire comprenne plusieurs lacs et rivières, seulement 10 familles consomment du poisson frais.

Conclusion

En comparant, à partir des recensements, l’état de la colonisation en 1851[4] avec celui de 1861, il est évident que des progrès ont été réalisés[5]. De 9 familles établies en 1851, on en dénombre maintenant 42. Dans ce contexte, toutes les autres statistiques sont normalement en hausse. Toutefois, une question se pose : cette hausse est-elle assez importante pour assurer la survie d’une colonisation fondée sur l’agriculture?


Remarques de Godefroi Labrie, recenseur en 1861.

« Il y a inégalité dans la production de la récolte, par exemple, vous verrez à certains acres de terre une quantité de grains bien plus élevée qu’à d’autres; ceci s’explique comme suit : de nouveaux colons ouvrent leurs terres au printemps et se trouvent à semer trop tard, ce qui fait que la plus grande partie de leurs terres attrapent les pluies d’automne. »


Observations formulées par le notaire Jean-Baptiste Lefebvre de Villemure[1]

« La récolte n’a pas produit également chez tous les habitants compris dans ce recensement, on y semait de 2 à trois arpents de semis et rien de récoltes. C’est dû au retardement des semences, les gelées ayant fait périr le grain qui n’était pas mur. Il ne se sème presque pas de blé la terre est trop légère à présent. C’est une espèce de terres qui sont mêlées avec d’autres terres de sorte que ceux qui ont semé n’ont presque pas de récolte, le plus est l’avoine et le sarazin quand il est fait à temps pour qu’ils puissent mûrir avant les gelées. L’orge, le seigle et les patates, l’avoine… ce qui se sème le plus chez les Islandais et tous les autres grains. Dans trois ou quatre ans d’ici, la terre sera propice pour le blé si on ne laboure pas la terre encore semée dans ce …. appelé le noir [???].

Les animaux sont encore rareté. Comme les récoltes sont trop petites pour voir à leur aliment, les pacages aussi sont trop petits et le foin n’y pousse pas. Ça va aller en augmentant car on  fera de plus grands pacages sur les montagnes incultes qui indemniseraient les cultivateurs et qui dans tous les cas ne pourront pas l’être.

On remarque beaucoup de pauvreté dans le township dans tous les rapports, nourriture, vêtement et la misère qu’occasionnent les difficultés des communications pour aller vendre les produits ou pour aller chercher des vivres. »

[1]  Observations du notaire Villemure à propos du Recensement agraire de 1851, p. 29

Le territoire de Val-David
(Conception : Pierre Dumas, ingénieur, M.Sc.A. Fond de carte : Commission de protection du territoire)


[1] Le présent article se situe dans la suite de celui portant sur le recensement de personnes de 1861 publié dans le journal Ski-se-Dit du mois d’août 2022, https://ski-se-dit.info/2022/08/parution-daout-2022/

Disponible aussi https://histoirevaldavid.com/coup-doeil-sur-le-recensement-personnel-de-1861/

[2] À moins de mention contraire, toutes les statistiques et autres données contenues dans le présent article proviennent de Recensement du Canada, Bibliothèque et Archives Canada,

https://www.bac-lac.gc.ca/fra/recensements/1861/Pages/propos-recensement.aspx

[3] Henri-Gaston de Montigny (1870-1914), Le livre du colon : recueil de renseignements utiles, Québec (province), Ministère de la Colonisation, p. 28.

[4] Voir à cet égard Michel Allard, « Les familles pionnières du territoire actuel de Val-David d’après le Recensement de 1851 »Ski-se-Dit, 15 janvier 2021 et 15 février 2021.

[5] Notons que dans le recensement de 1851, les superficies sont mesurées en arpents et en 1861, en acres. Un arpent est égal à 0,84 a