Par Paul Carle
Le tournant des années 1920 voit la naissance du village de Val-David; en 1892 le Canadian Pacifique construit , près des moulins de M. Joseph Bélisle, une gare ferroviaire qui porte le nom de Bélisle’s Mills Station; de plus en plus de colons s’établissant dans l’environnement de cette gare, le diocèse de Mont-Laurier ampute le territoire de Sainte-Agathe en 1917 et créé une nouvelle paroisse qu’on appelle Saint-Jean-Baptiste de Bélisle’s Mills; une première chapelle est érigée en 1917 mais elle est rapidement remplacée par l’église actuelle en 1921. Cette même année 21, une pétition d’environ 90 propriétaires demande la création d’un village ayant les limites de la paroisse; le 25 juin 1921, Léonidas Dufresne, premier maire élu, tiendra la première assemblée du conseil municipal au sous-sol de l’église.
Le premier curé de la Paroisse, Ernest Brousseau, est approché en 1921 par Sœur Marie-Antonine (Albina Bélisle), une des filles de Joseph Belisle qui a joint la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne en 1883, pour leur permettre d’ériger une maison de retraite et de soins pour les sœurs malades de la congrégation. La région est reconnue pour ses vertus curatives, plus d’une dizaine de Sanatorium ont été construits sur le territoire de Sainte-Agathe entre 1889 et 1912. Mgr Brunet, évêque du diocèse de Mont-Laurier, et M le curé sont bien contents de voir arriver sur leur territoire la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne.
source: Source :Album historique publié à l’occasion des fêtes du cinquantenaire de la paroisse de Sainte-Agathe-des-Monts, 1861-1911
Rappelons rapidement que la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne est un produit typiquement québécois; la congrégation a été fondée en 1850 à Vaudreuil par Esther Blondin, avec comme principal objectif de remédier à la situation pitoyable des écoles rurales de l’époque (toutes les régions du Québec, le Canada francophone, la Nouvelle-Angleterre, puis des pays de mission bénéficieront des enseignements des Sœurs de Sainte-Anne). Marie-Esther Sureau dit Blondin la fondatrice de la Congrégation, a été béatifiée Bienheureuse Mère Marie-Anne, le 29 avril 2001, par le Pape Jean-Paul II.
Le curé Brousseau proposera donc aux Sœurs de tenir l’école primaire du village, ce qu’elles accepteront. En 1922 débute la construction de la résidence Ste-Esther. Le terrain a été acheté en partie de M. Léonidas Dufresne et en partie de la Fabrique de la paroisse.
La résidence Ste-Esther en 1922. Dessin Sonia Paquin, 2000
La Résidence Sainte-Esther (affectueusement appelé le Couvent des Sœurs par les citoyens du village) sera pendant longtemps le plus le plus beau et le plus vaste établissement du village. Il est en bois couvert de briques; il mesure 15 mètres de façade, sur 24 mètres de profondeur. L’édifice à deux étages est couvert d’une toiture mansardée à quatre versants. Tout en haut de la façade principale, au niveau du grenier, on remarque une niche abritant une statue de Sainte-Anne. La congrégation des Sœurs de Sainte-Anne a toujours été proche de la cure : un corridor reliait la résidence à la sacristie de l’église; une chapelle a toujours été aménagée dans le résidence, permettant la tenue des régulière des offices.
L’église et la résidence/couvent Sainte-Esther vers 1923. Archives Congrégation des Soeurs de Sainte-Anne
À l’origine l’électricité est fournie par une dynamo que monsieur Joseph-Roch Larocque, propriétaire du moulin à scie, partage avec les Sœurs. Un puits alimente la Communauté en eau potable jusqu’à l’arrivée de l’aqueduc municipal en 1933. Durant les années 1951 et 1952, on procède à des modifications importantes de l’édifice. Le grenier du troisième étage est aménagé pour former un solarium de quatorze chambres. L’édifice prend la forme qu’il gardera jusqu’à sa citation par la municipalité en 2015.
Le 23 septembre 1922, la première équipe de religieuses arrive ; Sœur Marie-Frédéric, la Supérieure, Sœur Joseph-Hector, maîtresse d’école, Sœur Marie-Élisabeth-du-Rosaire, cuisinière et Sœur Anne-Marie, infirmière.
L’apport pédagogique au village
Une école qui portera pendant années le nom d’Académie du Sacré-Coeur, sera érigée rapidement en 1922 de l’autre côté de la rue de l’Église; Sœur Joseph-Hector assumera seule en 1923 l’enseignement à 40 garçons et filles de 5 à 16 ans, répartis dans la même salle en 5 groupes. Les sœurs enseignantes continueront à habiter avec les sœurs malades et soignantes pendant quelques années avant d’avoir leurs propres quartiers dans la Maison Beaulieu, adjacente à la Résidence Sainte-Esther, là où avaient résidé les curés Armand Leclerc et Maurice Monty et qui devient la Villa Sainte-Anne. Les Soeurs de Sainte-Anne ont gardé la direction de l’école primaire de l’Académie jusqu’à sa démolition en 1952, puis la direction de l’école Ste-Marie construite sur le site (école que vous pouvez encore apercevoir derrière vous. Elles quitteront l’enseignement petit à petit dans les années 60; la dernière Soeur de Sainte-Anne quittera la classe vers 1980. La Villa Sainte-Anne sera vendue en 1972 aux Caisses Populaires Desjardins; elle sera démolie pour faire place à la Caisse Populaire Desjardins.
Soins aux sœurs malades et en repos
Des la première année, la résidence Sainte-Esther accueille quarante sœurs malades en convalescence. Mais cette fonction de sanatorium est rapidement rattrapée par la réputation d’asile de paix et de tranquillité quelle acquiert, notamment l’été. Des chalets trois-saisons sont construits sur le site accueillant l’été des sœurs au repos, des neuvaines, des retraites fermées… en plus des convalescentes. Au début des années 1980 on évalue à plus de 300 Sœurs de Sainte-Anne fréquentant Val-David à chaque année.
Participation à la vie communautaire de Val-David
Les sœurs de Sainte-Anne Les sœurs participaient beaucoup dans la communauté de Val-David, travaillant aux comptoirs (alimentaire et vestimentaire), préparant des repas pour les enfants n’ayant pas déjeuné suffisamment, accueillant sur l’heure du midi des enfants avec des troubles d’apprentissage, allant visiter les malades; elle tricotait des bas, des mitaines, des chandails pour enfants dans le besoin. Elles hébergent des étudiants, une dame en dépression, une famille mise à la rue par un incendie…
La transformation des bâtiments
Au fil des ans, la résidence Sainte-Esther subit plusieurs transformations. Ainsi, le corridor qui la reliait autrefois à la sacristie de l’église n’existe plus. Vers 1950, l’édifice perd sa toiture mansardée à quatre versants avec l’aménagement au grenier d’un solarium de quatorze chambres.
Vue de l’entrée de la résidence/couvent Sainte-Esther. 1949 collection SHPVD
Résidence Sainte-Esther en 1999.
La citation patrimoniale
En juin 2015, les dirigeants de la Municipalité du Village de Val-David adoptent un règlement de citation pour sauvegarder la valeur historique et patrimoniale de l’édifice. La résidence Sainte-Esther de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne est dorénavant inscrite au Registre du patrimoine culturel du Québec en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.
La réutilisation de l’édifice
L’édifice devient vacant en 2014; plusieurs projets sont envisagés (même celui d’y transporter la mairie de Val-David). C’est finalement l’école Imagine, de pédagogie Waldorf, qui en fera l’acquisition.
L’École Imagine, présente à Val-David depuis plusieurs années connaît bien les Sœurs de Saint-Anne; depuis quelques années les religieuses leur prêtent leur beau terrain pour la fête champêtre annuelle de l’École. L’endroit est rêvé, au cœur du village et de la communauté de Val-David, avec la plus belle cour d’école imaginable.
Les travaux de mise à niveau ou aux normes de l’édifice s’avèrent beaucoup plus couteux que prévus au premier abord (on parle de trois fois les sommes envisagées lors de l’élaboration du projet). La présence, entre autre d’amiante dans les plâtres de l’édifice oblige à « stripper » l’édifice de toute sa finition intérieure. On réussit cependant à sauver plusieurs éléments architecturaux intérieurs (portes, boiseries, armoire… ).
Maison Sainte-Esther en 2004 . Photo Claude Proulx.
Le projet de l’école imagine comporte aussi un volet communautaire important. Ainsi des bureaux pour des travailleurs autonomes sont aménagés et loués au 3 ème étage de l’ancienne résidence. Une garderie sera aménagée dans uns des bâtiments secondaires sur le site; on prévoit aussi sur le site, la construction, dans un avenir prochain, d’une résidence pour des personnes âgées.
Un bel et rare exemple de réutilisation d’un bâtiment historique dans les Laurentides.
Sources :
– Archives de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne
– Dufresne, Marie-Andrée, Val-David, fragments d’histoire, Val-David, 1996, 104 pages
– Proulx, Claude, Val-David, son histoire, son patrimoine, La société d’histoire et du patrimoine de Val-David, 2001, 204 pages
– Laurin, Serge, Histoire des Laurentides, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995, 896 pages.
– Entrevue avec Jean-Marc Lugand, président du conseil d’administration, École imagine
– site Facebook : https://www.facebook.com/EcoleImagine/