Louise Huot: de la Palestre nationale à la montagne

Merci à Martine Lavallée

d’avoir permis la reproduction de cet article paru dans le Journal ZigZag de Val-David

 

Louise Huot, athlète et mère : l’aventure et le sport au centre de sa vie

Par Martine Lavallée

Naissance d’un modèle féminin dans les années 40 et 50

L’histoire de Louise Huot débute le 1er avril 1935 à la paroisse Notre-Dame-de-Grâce (NDG) alors que la récession économique de 1929 prend fin. Louise est une enfant en santé mis à part son souffle au cœur congénital. Elle est enfant unique, son frère aîné, Pierre, étant décédé à l’âge de 4 jours.

À l’époque de sa naissance, entre deux guerres, le chômage atteint des sommets inégalés. La mère de Louise est couturière et son père comptable. Ils sont catholiques, canadiens-français et nationalistes, ils vivent modestement et économisent la grande partie de leurs revenus en prévision des mauvais jours, mais aussi dans le but d’offrir à Louise un avenir prometteur. C’est dans ce contexte socio-économique que Louise grandit, entourée de parents aimants et raisonnablement à l’aise financièrement. Elle découvre très jeune le ski, la raquette et la natation dans les Laurentides.

Louise vers 1939 à Sainte-Adèle

Les parents de Louise l’inscrivent à la Palestre nationale (PN) ce lieu créé par et pour les francophones, afin que leur fille unique s’épanouisse. Antonio, son père, y pratiquait déjà l’haltérophilie et la gymnastique quand en juin 1943 il y emmène Louise pour la première fois. Elle a 8 ans.

Située sur la rue Cherrier, à quelques pas du parc Lafontaine, la PN est une institution sportive qui ouvre ses portes la première fois le 12 décembre 1918. C’est à la PN que Louise reçoit une formation psychologique et physique lui permettant de développer sa ténacité, sa témérité et ses diverses habilités sportives appuyées par le mouvement de la PN. Grâce à son tempérament, mais surtout à son aisance à apprendre les rudiments des sports, Louise excelle dans tout. Elle tisse des liens étroits avec ses collègues qui deviennent sa deuxième famille.

 

Voyageant à vélo ou en tramway à partir de Notre-Dame-de-Grâce (NDG), elle pratique à la PN divers sports : course à pied, gymnastique, nage synchronisée, natation, volleyball, escrime et plongeon. Elle se passionne autant pour les sports d’équipe que les sports individuels. Mais Louise rêve de s’élever encore plus haut. Elle s’inscrit dans toutes les compétitions possibles où elle se démarque par ses performances hors de l’ordinaire (voir photo ci-dessous). C’est lors de ces compétitions qu’elle rencontre des compétiteurs anglophones avec qui elle se lie d’amitié. Pour Louise, il n’y a aucune autre avenue que le sport pour s’épanouir et la restriction linguistique n’est pas un problème puisqu’elle devient parfaitement bilingue, fait plutôt rare au cours des années cinquante.

À l’école, on remarque ses talents pour le français et les mathématiques : elle est douée et opte pour une formation professionnelle en secrétariat. L’été elle travaille chez J.J.Joubert ltée à la succursale de NDG.

          La collection de médailles et de trophées de Louise dans les années 1950

À l’hiver 1956, Louise joint l’Union canadienne de raquetteurs (UCR). Fondée en 1907 et incorporée à Ottawa en 1953, cette union possède un riche passé. Elle prend naissance en 1840 sous un premier un groupe de raquetteurs anglophones : le Montreal Snowshoe Club. L’UCR de Montréal réunit, en 1907, pas moins de 22 clubs de raquetteurs canadiens et elle organise tous les hivers des compétitions de 60, 100 et 200 verges ainsi que des courses de 1, 3, 10, 12 et 18½ milles. Entre 1957 et 1960, Louise décrochera deux records mondiaux de course en raquettes : 15 secondes au 100 verges et 23 secondes au 200 verges. L’Office national du film immortalisera son record du 100 verges établi à Sherbrooke dans un film de Gilles Groulx et Michel Brault, Les Raquetteurs (voir Louise portant le dossard 96 à 08 : 46 minutes).

Entre-temps, et depuis 1953, Louise fréquente aussi le Centre de loisirs Immaculée-Conception (CIC). Le CIC, orienté vers l’éducation physique, était situé sur le Plateau Mont-Royal. Il abritait notamment une piscine et un gymnase. C’est ici, à partir de 1958, qu’elle rencontre des membres du Club de montagne le Canadien (CMC) dont les adeptes lui feront découvrir l’escalade de rocher. Elle y remarque Claude Lavallée grimpeur émérite, qui deviendra son mari et le père de ses deux enfants. L’escalade et le plein air entrent dans la vie de Louise par le chemin du cœur et ils partent à la conquête des montagnes américaines et canadiennes.

Mariage de Louise et Claude à Val-David en 1960

Les années suivantes sont bien remplies. Elle se marie et emménage à Val-David en juin 1960 où elle met au monde ses deux filles, l’une en 1961 et l’autre en 1962. Les aventures d’escalade se poursuivent et Louise fera plusieurs premières ascensions féminines notamment à Val-David, au lac Bon Echo (Ontario), au parc national Grand Teton (Wyom.) et dans les Shawangunks (NY).

Louise au mont Plante à Val-David avec sa fille Sylvie sur son dos en 1962

Il y a aussi les sommets enneigés qui attirent Louise. Le ski de haute route dans les Alpes est une activité qu’elle aime particulièrement. Adepte de ski alpin et de ski de fond depuis longtemps, le ski de haute route est une bonne combinaison de ces deux disciplines.

Louise grimpant dans les Shawangunks en 1961.

Puis en 1968, son mari cofonde la Fédération des clubs de montagne du Québec (FCMQ), l’ancêtre de l’actuelle Fédération québécoise de montagne et de l’escalade (FQME). Louise s’y joint à titre de secrétaire et devient la première instructrice d’escalade au Québec. À l’automne 1968, elle participe au tournage du film les Rochassiers[i] de l’Office nationale du film, où on la voit gravir des parois rocheuses. Pendant plusieurs années sa vie évoluera autour de la FCMQ été comme hiver. En effet, l’hiver la FCMQ offrait des stages de ski de fond, notamment à l’auberge du P’tit Bonheur dans les Laurentides pour le compte du père Marcel de La Sablonnière. L’été, les stages d’escalade se font à Val-David où les stagiaires et formateurs logent à l’auberge le Rouet. Dans les années 1970, la FCMQ participe au plan de développement d’un parc à Val-David, mais ce n’est que 30 ans plus tard que le projet se concrétisera. Louise participe à ce projet initial où elle s’occupe de la rédaction de plusieurs documents.

Gilles Parent et Louise lors d’une de ses expéditions en Europe

Sa vie remplie d’aventures lui permet de parcourir le globe en faisant des trekkings au Népal, au Pérou et ailleurs. Ces aventures nourrissent Louise et teintent la vie de ses filles.

Louise, deuxième à gauche, dans les Alpes avec un groupe d’ami-e-s dans les années 1970

Membre à part entière de la génération montante de l’époque, elle est une francophone libérée du joug anglo-saxon et engagée dans le mouvement de «La libération de la femme». On doit aux Québécoises comme elle un legs de citoyens mordus de plein air et de sports d’aventure, un modèle de persévérance et d’énergie même à son âge vénérable de 85 ans. Son cœur n’a pas su suivre sa cadence, mais elle restera la femme la plus influente de ma vie.

Je l’appelle maman.

Louise en 1968 lors du tournage du film Les Rochassiers

[i] Voir le mémoire de Florent Wolff pour l’Université de Montréal : Les Rochassiers ou la naissance du film d’escalade