Par Paul Carle, 2003 et 2018
Le patrimoine de la municipalité de Val-David compte quelques éléments assez particuliers; nous vous en présentons un dans les paragraphes qui suivent.
Il existe, entre les chemins du 7ème et du 8ème rang, au Lac Paquin, un ancien barrage (partiellement défoncé et écroulé), long de 120 pieds, construit en pierre de rivière et en pierre des champs vers la fin des années 1930.
Barrage Lac Paquin. Collection Paul Carle
Le barrage est situé sur l’ancienne terre de la famille Parent. Terrain acquis en 1910 par Ferdinand Parent père et vendu à son fils Ferdinand Parent en 1929. Ferdinand Parent père possédait plus de 300 âcres dans les 7ème et 8ème rang au Lac Paquin au début du siècle. La maison familiale était située à peu près sur la ligne de division des 7ème et 8ème rang, tout près de la montée du 8ème rang (cette maison de pièces de bois a été vendue, défaite et remontée à Ste-Agathe il y a plus de 30 ans).
Ferdinand Parent fils est mort prématurément en 1929, laissant à sa femme, Julia Ouimet, la charge de ses 14 enfants (7 garçons et 7 filles). La situation n’est évidemment pas facile; Mme Ouimet fait son pain (26 par semaine), son beurre, ses légumes, elle fait boucherie; mais elle fait aussi des ménages et prépare des repas pour des «touristes» vivants au Lac Paquin. Comme d’autres agriculteurs du Lac Paquin, l’été elle loue à des «juifs[1]» sa maison; elle s’installe avec ses enfants dans la remise et au dessus de la laiterie. L’image peut avoir des relents de «colonialisme», mais les enfants profitaient de ces «vacances» et semblaient avoir du plaisir à fréquenter les «juifs» et leurs enfants. Plusieurs y apprendront un peu d’anglais! Plusieurs découvriront une nouvelle nourriture. Toute la communauté du Lac Paquin profitait de cette industrie saisonnière : commerces, restaurants, vente de légumes et de fleurs, services divers. Un bureau de poste et une cabine de téléphone étaient même installés et désinstallés à chaque été. Tous les enfants de Ferdinand Parent fils sont aujourd’hui décédés.
Mais les accès au Lac Paquin pour la baignade sont inexistants ou presque pour les touristes. Voulant développer cette «industrie touristique», quatre familles du Lac Paquin, les Parent, les Paquin, les Chalifoux et les Gascon, s’associent pour construire, sous forme de corvée, un barrage et un lac artificiel. Claude Parent se souvenait y avoir travaillé vers 1935, Jacques Gascon aussi. À l’aide de chevaux et de Tom boats (sorte de traineaux), on amasse les pierres requises dans les ruisseaux et les terres environnantes. Ce lac, qui n’a jamais reçu de nom officiel, existait encore au début des années 1960. Les Chalifoux construiront, sur leurs terres à côté du lac, 2 ou 3 chalets sur pilotis dont on retrouve peu de traces.
Thérèse Parent, en 2002, se souvenait bien du lac créé par le barrage: alors qu’elle était très petite, vers l’âge de 10 ans, tous les jours elle longeait le ruisseau, puis le lac, pour aller traire les vaches de sa mère près de leur étable, de l’autre côté du 8ième rang. Après avoir trait les vaches, elle ramenait les chaudières, en longeant le ruisseau jusqu’à sa ferme.
On ignore à quel moment le lac disparaît. Julia Ouimet vend en 1947 la terre familiale. En 1958, la communauté hongroise via la Continental Resort Co. devient propriétaire d’une partie des terres de la famille Parent, du barrage et du lac, mettant fin à cette forme primitive d’industrie touristique. Faute d’entretien probablement, le barrage cèdera peu à peu, entraînant la disparition du lac. Aujourd’hui, la nature a repris ses droits sur le site.
Barrage Lac Paquin . Collection Paul Carle
[1] . L’expression «juifs» est utilisée par la plupart des anciens pour nommer ces touristes des années 30 et 40. Ils semblent qu’ils soient essentiellement anglophones, mais se débrouillant minimalement en français.