L’auberge du Vieux Foyer

Par Carmelle LaBrèche Cavezzali

 
1956.

Un jeune italien recyclé dans les auberges de jeunesse après la guerre, arrive dans les Laurentides. Il vient de passer une année à Manseau, dans le comté de Nicolet. Il y a rencontré des personnes qui l’ont engagé comme Père Aubergiste pour l’Auberge La Cordée qui ouvrira ses portes à Val-Morin. C’est Franco Cavezzali.

Il y fait la rencontre d’une jeune militante d’action catholique , venue de Montréal où elle travaille à la Centrale nationale de la Jeunesse Étudiante Catholique (JEC), pour passer quelques jours de vacances à La Cordée. C’est Carmelle LaBrèche. Ainsi débute une belle aventure que je vous raconte à l’instant.

Nous nous marions le 26 octobre 1957, à Hull et décidons d’ouvrir notre propre auberge à Val-Morin, dans deux maisons appartenant à M. Roland de la Papeterie Roland. Le terrain fait un million de pieds carrés, nous serons donc millionnaires avec 104$ en poche ce qui représente tout notre avoir. Notre Auberge s’appellera La Strada qui signifie La Route, lieu de rencontre et de fraternité, on y fera de la culture et du sport et la clientèle sera très internationale.

 

Mais en premier lieu, cette auberge il faut la meubler. Nous faisons appel aux Chiffonniers d’Emmaus de Hull ou travaille un de mes amis. On s’y procure 14 tables noires, en bois, venues d’une taverne, (qui finiront à La Butte quand nous les remplacerons à l’Auberge) une planche à repasser, des casseroles et plein de matériel pour la modique somme de 50$. Les chiffonniers font la livraison et nous ramènent même à Val-Morin. Je me souviens que ma mère avait dit: Si vous passez devant chez nous avec le camion des Chiffonniers, ne dites pas que vous nous connaissez.

Sur entente de confiance, Monsieur Maurice Savoie parrain québécois de Franco endosse nos achats pour nous permettre d’équiper le commerce qui comptera une soixantaine de places. Des amis viennent nous aider, on travaille dur, on nettoie, on peinture, on place, on prépare la bouffe car l’ouverture se fera au début de décembre, avec un groupe de 40 personnes de la JEC, venues nous servir de cobayes. Le test est cher mais réussi, car le plus difficile est d’ajuster les menus et de calculer les coûts de la nourriture à la capacité de nos moyens. Franco sera le Chef en cuisine et verra aux réparations; moi je serai l’assistante et verrai à la préparation des desserts, je ferai la correspondance, les réservations, la comptabilité, l’entretien ménager et je verrai à préparer l’arrivée du petit bébé qui s’en vient.

La neige vient très tôt et nous arrive une bonne nouvelle pour Noël. Un groupe américain réserve l’Auberge au complet. C’est l’euphorie, mais dans l’excitation nous n’avons demandé aucun dépôt comme garantie. Bah la confiance règne. J’écris à ma mère pour avoir des recettes de Noël et je m’attelle à la tâche : tartes, tourtières, gâteaux, etc. Mais le temps vire à la pluie et toute la neige disparait, ainsi que notre réservation officielle. Il est trop tard pour de nouvelles réservations et c’est la famille d’une amie qui vient à notre secours en remplissant l’Auberge pendant quelques jours pour ce premier Noël 1957 dont nous nous rappellerons longtemps.

L’Auberge prend son rythme et des activités s’organisent autour de thèmes divers. Les clients arrivent le vendredi soir avec le train puis chaussent leurs skis pour se rendre à l’Auberge. On loue une place, non une chambre, tu arrives seul et tu te réveilles à quatre. Une fois installé, on rejoint les autres quelquefois à la cuisine pour peler des pommes car je fais des tartes pour le dessert du lendemain. Le ski de fond est à l’honneur.

L’été, les terrains de sport ont la cote et tout le monde y dépense son énergie. Excursions et baignades complètent la recherche d’exercice. Norman McLaren vient présenter son célèbre film, La Chaise* et quelques-uns de ses films d’animation. Plusieurs autres cinéastes de l’ONF nous font découvrir l’origine et l’évolution du film documentaire.

Tout le Québec est encore catholique et le Père Ambroise Lafortune vient célébrer à l’Auberge la fête de Pâques. Bénédiction de l’eau, du feu et confession pour tout le monde. La résurrection c’est la joie. La clientèle se diversifie : Français, Suisses, Roumains, Espagnols, Russes, Américains, Italiens, Australiens, se joignent aux Québécois et aux Canadiens pour célébrer un bal masqué, le soir du Jour de l’An. Tout le monde est costumé dans une autre nationalité que la sienne. C’est divertissant.

 

Au mois d’août naît le premier-né Cavezzali. Les employés ont préparé un drapeau rose et un bleu pour mettre fin au suspense et c’est le bleu qu’on accroche au mât de l’Auberge pour célébrer l’événement, car même sa grand-mère est venue d’Italie pour la naissance de Marco.

Plus le temps passe et plus la toiture coule dans la maison principale. Il faut prendre une grande décision. En consultant notre ami Pierre Lefebvre propriétaire du Rouet, nous décidons de venir nous aussi à Val-David et c’est sur le chemin Doncaster entre le Mont Plante et le lac de l’Épinette Bleu que nous fixons notre choix. C’est une petite maison en bois avec une trentaine de places. Nous ferons d’abord la salle à manger (1959) puis, nous construirons presque chaque année pour l’agrandir et en faire une Auberge. Beaucoup de nos clients doivent aller dormir (chez l’habitant) car nous manquons de places. En 1962 s’ajoute un nouveau membre à la famille, c’est notre fille Lucia, et grand-maman LaBrèche qui vient habiter avec nous devient la confidente de tout le monde.

1959

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 

                                                              Tour de carriole et Mont Plante à l’arrière.

 

 En 1963 nous faisons l’agrandissement en façade avec l’architecte Roger Chalifoux qui ajoute trois chambres et permet de bâtir le salon avec le foyer en vieilles briques de démolition, le four à pain et une salle de jeux au rez-de-chaussée.

 

 Mère de Carmelle au four à pain

Nous changeons le nom pour L’auberge du Vieux Foyer. Grand-maman fait le pain et il y a du vin à table. Et tout ce temps, l’Auberge fonctionne et continue ses activités. Nous trouvons nos employés dans l’environnement de l’Auberge. Presque tous les jeunes du Doncaster ( Le Castor) ont travaillé pour nous et parfois même leurs parents.

 
 
 
Auberge du Vieux Foyer 1963

 Lac de l’Épinette bleue,
en façade de l’Auberge.
 

Le gouvernement parle d’un possible ministère du tourisme. Nous présentons un mémoire pour revendiquer une catégorie pour les auberges afin qu’elles ne soient pas considérées comme petits hôtels de seconde catégorie. Mais le représentant du gouvernement ne semble pas voir que nous représentons l’avenir de la petite hôtellerie. Subventions…si vos revenus sont d’un million minimum et si nous sommes un peu en dessous de ça…c’est peine perdue, dans sa tête nous n’existons pas.

Nous organisons une excursion en ski de fond, de Val-David au Chalet Cochand à Ste. Marguerite. Nous sommes 33 participants avec toutes sortes de ski artisanaux, et des accoutrements divers. Le milieu de la mode n’a pas encore pénétré le ski de fond. On skie comme on est, et avec ce qu’on a…Pour le ski alpin, nos clients prennent des cours au Mont-Plante ou Monsieur Plante a fait construire un majestueux restaurant et le soir ils se rendent à la Butte pour y applaudir les chansonniers ou les pièces de théâtre de Raymond Lévesque.

Nous offrons des cours de yoga, en plein air, des rencontres pour les amateurs d’astronomie, des soirées cinéma, etc. Nous continuons nos activités culturelles sur la connaissance des arts et des pays. Plusieurs artistes viennent expliquer leur travail, Bernard Chaudron présente ses techniques d’émaillage et ses coulées de métal. Michel Brault cinéaste de l’ONF vient expliquer la nouvelle technique du Candid Eye, M. Ikawa, Consul du Japon vient avec son épouse servir un repas japonais accompagné de Saké, puis une autre semaine, c’est le représentant de la Suède qui s’amène avec sa famille et qui trouve l’atmosphère tellement sympathiques qu’il reste jusqu’au lundi. Un jeune chef italien vient offrir ses services. Ce n’est pas de refus. La fatigue se fait sentir.

Franco et moi n’avons pas le temps de sortir de l’Auberge alors nous faisons venir à nous les activités qui nous intéressent. Nous considérons que quand des gens arrivés comme clients repartent comme amis, nous sommes satisfaits. Le seul qui trouve à redire est notre comptable qui ne comprend pas comment on peut penser s’enrichir quand on charge si peu cher.

1970, arrive le dernier membre de notre famille, Nathalie. Marco vient à la rescousse en cuisine.

 
 
Franco Cavezzali
 
 
 
Carmelle LaBrèche Cavezzali
 
 
La famille: les trois enfants: Carmelle, Nathalie, Lucia, Marco et Franco 

Nous faisons un dernier agrandissement qui ajoutera neuf nouvelles chambres. Nous commençons à penser vendre. En véritable bélier, Franco perd intérêt. Il a envie de faire autre chose.

Nous vendons l’auberge en mai 1977, à trois cousins en qui nous reconnaissons l’enthousiasme et l’énergie que nous avions 20 ans plus tôt. Ils lui donneront un nouvel essor. L’auberge du Vieux Foyer est encore très vivante et nous en saluons les propriétaires Danielle Miron et Jean-Louis Martin qui en ont fait un bijou dans l’écrin merveilleux de Val-David.

 

 

 

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Collection Carmelle LaBrèche- Cavezzali
 
 
 
 
 
 

 
 
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