La Gare Bélisle’s Mill

Par Claude Proulx

 

LE P’TIT TRAIN DU NORD, en a vu de toutes les couleurs : chanteurs de chansons à répondre, raconteurs d’histoires un peu pompettes, jambes cassées et rencontres d’amoureux, qui nous ramènent à Val-David à l’Hôtel La Sapinière, pour nos voyages de noces. Quelle belle époque et quel fun de bouleau noir nous avons eus à nous faire transporter avec nos skis trop longs, nos p’tites sandwiches au beurre de peanut, nos p’tits gins, nos p’tites blondes et nos p’tits chums, pour venir assister à la messe de minuit à Saint-Sauveur ou au Mont-Plante à Val-David.

(Rolland Masse, Piedmont – 1991 )

Sans le chemin de fer, la colonisation d’une région éloignée comme les Hautes Laurentides aurait été un pari impossible. Conscient de la situation, dès son arrivée à Saint-Jérôme en 1868, le curé Antoine Labelle réclame, la construction d’une voie ferrée pour relier sa Ville à Montréal. Après moult tractations, le Train du nord effectue pour la première fois en 1876, le trajet de Montréal à St-Jérôme.

Il faut enrayer l’hémorragie des Canadiens vers la Nouvelle-Angleterre, selon le curé Labelle. Pour encourager les cultivateurs à rester au pays, il favorise un meilleur réseau de transport. Bâtir un chemin de fer pour donner aux colonisateurs des Pays-d’en-Haut un moyen d’atteindre le marché d’affaires de Montréal et de développer l’économie des Cantons du Nord, voilà le rêve ambitieux du Curé Labelle en 1876 qui sollicite auprès des gouvernements, la construction du tronçon de Saint-Jérôme jusqu’à Sainte-Agathe-des-Monts.

Tôt, au printemps de 1887, la Compagnie de chemin de fer Montréal et Occidental, commence les travaux de construction du chemin de fer à partir de St-Jérôme, pour atteindre notre village en novembre 1891 et terminer les travaux jusqu’à Sainte-Agathe-des-Monts en juin l’année suivante.

Le premier train qui amène une foule de dignitaires, s’arrête chez nous quelques minutes, vers onze heures de l’avant-midi, le trois juillet 1892 et poursuit son trajet vers Ste-Agathe-des-Monts, pour procéder à l’inauguration officielle du tronçon.

Gare du CPR, Belisle’s Mills vers 1910.
Source : Musée McCord Museum, MP-0000.99.3 On remarque le bois, près de la voie ferrée, prêt à charger

En 1892, la Compagnie du Pacifique Canadien érige ici une superbe gare pour consolider ses opérations de transport, car ce lieu est stratégique à cause du moulin à scie et à farine du village.

On donne le nom de Bélisle’s Mill Station à cette nouvelle gare, du nom du moulin à eau du village, propriété de Joseph Bélisle. C’est ainsi que les villageois baptisent de façon populaire, cette partie de notre territoire, Belisle’s Mill, alors que nous appartenons à cette époque à la Municipalité de Ste-Agathe-des-Monts.
Ce bâtiment, à l’architecture de style suisse, mesure quelque douze mètres de longueur sur cinq mètres et demi. Il fait deux étages, ce qui autorise le chef de gare à y loger avec sa famille Les murs extérieurs sont en déclin de bois, peints de couleur crème et les contours des ouvertures sont de couleur rouge vin. Les encoignures des pignons du toit sont décorées d’épis de faîtage, ce qui donne une fine classe à ce type d’architecture.

Durant ces années, on utilise divers styles d’architecture pour la construction des gares et notamment, le type d’influence Queen-Ann, comme celle de Sainte-Agathe-des-Monts.

Au début, le train sert au transport de passagers et de produits manufacturés en provenance de Montréal, de même qu’à l’exportation du bois œuvré dans nos moulins. Toutefois, tout comme le développement industriel, le service de fret ne s’intensifie guère. Par contre, le chemin de fer donne naissance à de nombreux centres de villégiature ainsi qu’aux clubs de chasse et de pêche. Pendant les années 1920, le Train du Nord connaît un nouvel essor avec la vogue du ski.
Les fourgons de marchandises cèdent la place aux wagons de voyageurs.

En 1921, un agrandissement d’envergure de la gare Bélisle’s Mill s’impose. On ajoute une remise pour garer une draisine, appelée, La Pompeuse, ce petit véhicule ferroviaire, utilisé par les travailleurs de chemin de fer pour l’entretien et la surveillance de la voie ferrée

Val-David : son histoire, son patrimoine, tome 1, Illustration du livre Val-David : son histoire, son patrimoine, tome 1, 2001,
Société d’histoire et du patrimoine de Val-David/Collection Claude Proulx

Au cours du seul hiver de 1934-1935, quarante mille skieurs sont ainsi transportés.

La gare constitue le point de chute du courrier et avant l’avènement du téléphone on y offrait un service de télégraphie ; la gare est le lieu de rencontre de prédilection des commerçants et des villageois.

Vers 1940, les murs extérieurs du bâtiment sont peints de couleur sang de bœuf, pour camoufler le bâtiment durant la Seconde Guerre mondiale.

Clara Dussault devant la gare à Val-David, en 1940 Clara Dussault devant la gare à Val-David, en 1940. Archives de la SHPVD

En 1950, la gare est restaurée. Une fondation de béton permet une consolidation de sa charpente, car l’humidité semble l’affecter.
Monsieur Léon Préfontaine est connu comme ayant été le premier chef de gare de Bélisle’s Mill Station. Monsieur Arthur Frenette lui succède en 1915 et Monsieur Claude Liboiron à partir 1953. Dans les année 1968/69 Val-David aura une femme comme chef de gare. Il s’agit de Madame Claire Courtemanche-Leroux qui occupera ce poste jusqu’à la fermeture de la gare.

Arthur Frenette, chef de gare, collection : Yves Frenette

 
 
 
 
Raoul Liboiron.  Collection: France Liboiron
 
CLaire C. Leroux. Collection :Mario Leroux
 
Gare de Val-David en 1960 Gare de Val-David en 1960. Archives de la SHPVD.

Le premier poste de contremaître de la voie ferrée pour la partie de Val-David à la gare de Ste-Marguerite est occupé jusqu’en 1905 par monsieur Noël Dupuis, puis, par Henri Brisebois jusqu’en 1941. Par la suite et durant quarante ans et dix mois, un de nos concitoyens, André Saint-Louis devient contremaître de la voie ferrée, du premier septembre 1948 au premier juillet 1989. Ses responsabilités s’étendent de Ste-Agathe à St-Jérôme.

En 1955, l’amélioration du réseau routier entraîne la disparition des fameux trains de neige. Ce service de fin de semaine sera repris par Via Rail Canada en 1978, pour être abandonné trois ans plus tard.

Gare de Val-David en 1976 Gare de Val-David en 1976. Archives de la SHPVD

Faute de tarifs concurrentiels et en raison de la baisse de l’activité économique, le transport des marchandises amorce pour sa part une lente agonie au début des années 1970.

Malgré tout, le Train du Nord laisse sur son parcours un chapelet de gares d’architecture pittoresque. La Corporation des gares des Laurentides travaille de concert avec divers intervenants régionaux afin d’assurer une nouvelle vie à ces témoins d’une autre époque.

L’annonce par la Compagnie de chemin de fer de démanteler la voie ferrée de St-Jérôme à Mont-Laurier, amène la démolition de la gare de Val-David en 1985, ce qui porte un dur coup aux férus de la conservation du patrimoine du village.

 

La majorité des gares, de Saint-Jérôme à Mont-Laurier sont préservées par des rénovations ou sont converties pour en faire des commodités publiques telles ; des auberges, des musées, des bureaux d’information touristique et des restaurants.

En 1990, la voie ferrée est démantelée. Sur son emprise, on procède à l’aménagement du Parc Linéaire, baptisé Le P’tit Train du Nord, qui fait deux cents kilomètres à travers villages, monts et vallées de Saint-Jérôme à Mont-Laurier Il ouvre ses portes en 1995. Sa fréquentation par les sportifs du ski de fond, du vélo et de la motoneige, apporte un développement économique considérable au tourisme des Laurentides.

En 1997, un nouveau bâtiment s’érige : La Petite Gare de Val-David, aux abords du Parc Linéaire, dans l’environnement immédiat de l’ancienne gare. Les plans soumis par le spécialiste du patrimoine architectural, Louis Pelletier à Val-David, sont réalisés selon le modèle de la première gare. La Petite Gare de Val-David, trouve une vocation de commodité publique et elle fait la joie des résidents et des touristes, qui fréquentent le Parc Léonidas Dufresne, le Parc Linéaire, les patinoires et les terrains de jeux.

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